27 novembre 2012

L'Homo Parisianus






Difficile de dresser un portrait de Paris et ses habitants sans faire de généralités. Pas un arrondissement qui n'ait le même profil, pas un Parisien qui ne ressemble à un autre. Mais en brossant la ville à gros traits, on la dépouille déjà de quelques clichés. Notamment de l'idée que, trop chère, elle serait désertée. Selon le dernier recensement de l'Insee, la population parisienne s'est accrue de 10 900 habitants en 2009. Preuve que la Ville Lumière aimante encore. C'est qu'elle concentre plus fortement qu'ailleurs les emplois qualifiés, une offre sociale et culturelle performante, et un maillage de transports très dense. Un dynamisme conforté par les statistiques, qui fait mentir ceux qui la dépeignent en ville-musée. 

Voici à quoi pourraient ressembler ses 2,2 millions d'habitants : plus jeunes, plus diplômés, plus riches, plus mobiles, plus souvent célibataires, plus écolos que le Français moyen. Mais ce n'est qu'un grossier portrait-robot car jamais les inégalités entre Parisiens n'ont été si fortes. Depuis quelques années, deux mouvements s'opposent dans la capitale. D'une part, la gentrification, liée à la surreprésentation des catégories socio-professionnelles supérieures et à la hausse du foncier. De l'autre, la montée en puissance de l'immigration. Paris est une ville-monde, où , observe le géographe Christophe Guilluy. Même si une petite bourgeoisie issue de l'immigration maghrébine émerge sans faire de bruit. Comme toutes les grandes métropoles, le Paris de 2012 est donc embourgeoisé et cosmopolite. "Ce qui le rend si attractif, décrypte Christophe Guilluy, c'est qu'il bénéficie de la mondialisation alors que les zones périurbaines et rurales en subissent les effets." Pour mieux saisir la capitale, en voici quelques profils saillants. 

Le jeune cadre connecté 
Premier constat, Paris est une ville jeune. 27,6 % de la population a entre 20 et 34 ans. Dans les 2e et 11e arrondissements, ils représentent même plus d'un tiers des habitants. Mobiles, plus diplômés qu'ailleurs (67 % des moins de 30 ans sont diplômés du supérieur), ils sont aussi plus offensifs dès qu'ils mettent un pied dans le monde du travail. Et comme Paris concentre la plupart des sièges sociaux des grands groupes, 42,4 % de la population active y est cadre. 17 % sont ingénieurs ou consultants, 8,4 % travaillent dans la banque ou l'assurance. Les autres font carrière dans les services, notamment dans les secteurs de l'information ou de la communication. Le jeune cadre parisien ne lit plus la presse (le nombre de marchands de journaux a chuté de 14 % en dix ans), il s'informe en ligne. Il est tellement connecté que les boutiques de téléphonie ferment les unes après les autres, le marché parisien ayant atteint son seuil de saturation. Evidemment, le cadre parisien est pressé et roule trois fois plus souvent que les autres Franciliens à deux-roues. Grâce à lui, la restauration rapide explose (+28 %), la vente de sushis prospère (+17 %) et le nombre de supérettes ouvertes de 8 h à 22 h a bondi de 16 %. Par son style de vie, il a plus en commun avec un New-Yorkais qu'avec un Marseillais. Par son niveau de vie aussi d'ailleurs : parmi les ménages ayant accédé à la propriété à Paris ces dix dernières années, l'énorme majorité est cadre et célibataire. 
La working girl avec enfant 
Active, indépendante, la Parisienne est une femme émancipée... Et attentive à son apparence. Centres de bronzage, salons de massage, spas : le secteur du "bien-être" est en hausse de 29 % dans la capitale. Elle a son premier enfant à 32 ans, contre 30 ans en province. Voire plus tard : 15 % des mères d'enfants nés à Paris en 2008 avaient plus de 37 ans. Conséquence d'un investissement professionnel important, résultat des recompositions familiales... près de la moitié des Parisiennes n'ont qu'un enfant. Elles préfèrent le pacs au mariage (2 pour 1), mais ne divorcent pas plus qu'ailleurs. Fait notable, la tendance observée chez les familles depuis cinquante ans s'inverse timidement : elles réinvestissent la capitale (+5 % ces dix derrières années), quitte à aménager dans des souplexes ou à investir dans des lits superposés (41 % des familles sont en situation de suroccupation). Comme son conjoint, la Parisienne travaille : 76 % des couples sont bi-actifs, 80 % des élèves déjeunent donc à la cantine. 81 % des mères avec bébés de moins de 3 ans ont une activité : un record ! Pourtant, une Parisienne sur quatre vit seule avec son enfant. Mais la ville offre davantage d'équipements d'accueil pour les jeunes enfants (32 % vont à la crèche), de logements sociaux et d'aides socio-éducatives qu'ailleurs. Dernière statistique à méditer : du lundi au samedi, les femmes parisiennes se déplacent plus que les hommes pour les achats du quotidien, les formalités administratives ou l'accompagnement des enfants.  
L'étranger en quête d'eldorado 
En 2012, le visage du Parisien prend de plus en plus souvent les traits d'un immigré originaire du Maghreb, d'Afrique subsaharienne ou d'Asie. Selon l'Insee, 38 % des habitants de la capitale âgés de 18 à 50 ans étaient immigrés (20 %) ou enfants d'immigrés (18 %) en 2007. Et la part de la population étrangère est plus importante à Paris (15 %) que dans d'autres grandes villes. Ces dix dernières années, le nombre de naturalisations y a augmenté de 4 %. Grâce à un marché du travail dynamique, y compris dans des secteurs peu qualifiés, la capitale demeure attractive pour les étrangers et les scores du FN y sont toujours bien en dessous de la moyenne nationale. Fait marquant : 52 % des immigrés vivant à Paris sont des femmes, de plus en plus jeunes et qualifiées, qui n'arrivent plus dans le cadre du regroupement familial. Les immigrés originaires d'Afrique et notamment du Maghreb restent essentiellement implantés dans le nord-est populaire de la capitale. Les Asiatiques, eux, investissent les beaux quartiers du centre (2e, 3e arrondissements) et de l'ouest parisien (16e). 26 % des ménages d'origine immigrée résident dans un logement suroccupé. La vie à Paris demeure plus difficile pour ces familles d'origine extra-européenne : 32,6 % d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. L'accès à l'emploi est complexe : bien que la situation s'améliore, 16 % des immigrés sont au chômage (contre 9 % des non-immigrés).  
Le beurgeois
Malgré la crise, les jeunes issus de l'immigration sautent de plus en plus souvent dans l'ascenseur social. Ainsi, 26 % des immigrés parisiens actifs sont cadres ou exercent des professions intellectuelles supérieures, postes auxquels ils accèdent plus facilement que dans le reste de l'Ile-de-France. Une petite bourgeoisie d'origine africaine, notamment maghrébine, émerge. S'il n'investit pas encore les quartiers les plus prisés de la capitale, le beurgeois parisien évolue sans heurts dans une ville multiculturelle où les valeurs progressistes sont plus ancrées qu'ailleurs. Individualiste, il associe souvent un mode de vie urbain à la pratique d'un islam culturel qui fait de lui une cible marketing : dans les supérettes parisiennes, plats cuisinés, pizzas et foie gras halal lui sont destinés.  
Le bobo écolo 
Les 300 ruches juchées sur les toits de Paris, la Fête des voisins, les jardins partagés, c'est lui. Le bobo écolo, nouvel urbain, est souvent un "intello-précaire". A moins qu'il ne travaille dans l'administration publique, grande pourvoyeuse d'emploi à Paris (1 emploi sur 4). Il vit dans un logement modeste, le loyer moyen d'un appartement (20,80 €/m2 selon l'Observatoire des loyers) étant nettement plus élevé qu'en grande banlieue (12,40 €/m2). A la différence du cadre, le bobo n'a pas les moyens de rester à Paris quand il fonde une famille, et s'exile généralement en petite couronne. En attendant, c'est grâce à ce consommateur exigeant que le nombre de cavistes, vendeurs de produits régionaux et producteurs bio a bondi de 13 % dans la capitale. Le nouvel urbain effectue 55 % de ses déplacements à pied (moins de 40 % des ménages déclarent disposer d'au moins une voiture, un chiffre qui ne cesse de baisser). Il est donc installé près de son travail et de ses lieux de socialisation (galeries d'art, local associatif). Quant au vélo, il ne compte que dans 3 % des déplacements (4 % le dimanche).  
Le SDF 
Les sans-abri sont malheureusement des figures éminemment parisiennes : ils sont plus nombreux dans la capitale que dans les autres grandes villes françaises, où l'accompagnement médico-social est moins développé. Selon l'Insee, 5 000 personnes seraient sans toit à Paris. Elles se concentrent essentiellement dans le centre-ville et aux abords des gares. Le principal regroupement suit le canal Saint-Martin, de République à Stalingrad, en passant par la gare de l'Est et le square Villemin, dans le 10e arrondissement. Accompagnant la gentrification de la capitale, le mobilier urbain devient un élément de lutte contre l'installation des SDF : bancs penchés, arrosage automatique des pelouses... Selon l'observatoire du Samu social, 83,3 % des SDF parisiens sont des hommes, 13 % ont entre 18 et 25 ans. Une étude de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) montre aussi que 13% des sans-abri ont un emploi. Bien que les familles roms soient très visibles, la moitié des SDF parisiens est de nationalité française. En 2009, le collectif Les morts de la rue a recensé une centaine de décès à Paris. L'espérance de vie d'un SDF est de 49 ans.  
Tout l'enjeu politique dans la capitale consiste à maintenir le lien entre des catégories de plus en plus hétérogènes. Une fonction assurée traditionnellement par la présence d'une classe moyenne administrative, grâce à laquelle la capitale fonctionne. La Ville de Paris leur réserve en priorité ses logements (notamment aux éboueurs et aux auxiliaires puéricultrices, les uns à cause de leurs horaires, les autres en raison des difficultés de recrutement). Les salariés de l'AP-HP, de la SNCF et de la RATP sont eux aussi logés par leur entreprise. Pour les sociologues, c'est le retour de ces "travailleurs-clés" qui permettra d'installer à Paris une mixité sociale pacifiée. 
* Toutes les données de cet article sont issues d'études de l'Insee et de l'Apur. 





M Style - Magazine Le Monde
Stéphanie Marteau & Jean-Baptiste Talbourdet
Le 16.11.2012


1 commentaire:

  1. jolis portraits de famille ;)
    je reste sans cesse surprise par Paris et je crois que je l'aime autant que je la déteste... je crois que je suis tombée amoureuse en fait ;)

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Bonjour Ami Lecteur,

Avouons-le, quel plaisir de lire des petits messages, des mots d'amours, des bons plans voire même des coups de gueules ...
Ce lieu est un lieu de partage, mais partageons en bonne intelligence s'il vous plait !
Merci par avance pour vos petites bafouilles !

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